Thierry Machuel : Psalm
L’univers polyphonique de Thierry Machuel atteint dans cet album magnifique (à posséder d’urgence) une vibration hallucinatoire, prenante et hypnotique. A la densité du jeu contrapuntique correspond la qualité sélective des textes poétiques. La musique n’allant jamais chez Machuel, fin lecteur de textes engagés, sans sa sœur, complémentaire ou gémellaire, la poésie. Si la texture, parfois jusqu’à saturation du mot et de la note, offre une riche correspondance avec le sens et le sentiment émis, alors, dans les œuvres ici abordées, l’écriture réalise ici un accomplissement rare. D’autant que l’exacerbation lyrique des effets vocaux, idéalements sertis et proférés par le Jeune Chœur de Paris et le chœur de chambre Les Cris de Paris, porte plusieurs textes d’une très grande force poétique. Notre préférence va tout d’abord au cycle Dark like me {sur des textes} de Langston Hughes (1902-1967) (…). Les cinq tableaux de cette suite chorale sont bouleversants par leur humanité, en cela remarquablement incarnés par les deux chœurs. Avec Jiv, d’après les textes du russe Ossip Mandelstam, nous gravissons encore un degré dans l’intensité émotionnelle. C’est le martyre des camps staliniens que Machuel honore avec une justesse de ton, là encore confondante de vérité et de déchirants accents. Et que dire encore du cycle fascinant Über dem Dorn d’après Paul Celan, mort suicidé en 1970 ? Sinon la pureté tragique, implacable, immersion sublime dans le noir absolu et les profondeurs de l’expérience humaine. La tension dont il s’agit, déploie dans le texte et dans le chant du corps choral, une pleine conscience qui exprime, et l’anéantissement final, et les forces extrêmes pour en sortir. Conçu comme un triptyque, son premier volet, Psalm, donne le titre de cet album événement. Les trois Nocturnes dont un non moins captivant et crépusculaire voyage nocturne, infernal, d’après benoît Richter, poursuit une quête ciselée, entre l’horreur d’une nuit d’inhumanité et le vide silencieux de la nuit, inquiétante, énigmatique.
Finalement, tout revient ici à l’humain, rien que l’humain, interprètes en état de transe (chauffés par leurs chefs, Laurence Equilbey et geoffroy Jourdain), compassion profonde d’un musicien au chant spirituel engagé, critique, acide, amer, et nourri d’espérance : ce disque est un éblouissement sonore et littéraire, incontournable.